Monaco
Monte‑Carlo (Auditorium Rainier III)
28 octobre 2022
Maurice Ravel : Valses nobles et sentimentales
Robert Schumann : Concerto pour piano en la mineur, opus 54
Igor Stravinsky : Le Sacre du printemps
Martha Argerich (piano)
Orchestre philharmonique de Monte‑Carlo, Charles Dutoit (direction)
Sur la Côte d’Azur, le concert de Martha Argerich et Charles Dutoit à Monaco était attendu depuis des mois comme l’un des événements de l’année. Il l’a été plus qu’on ne l’imaginait ! On n’est pas près d’oublier le Concerto de Schumann de l’inépuisable Martha et le Sacre du printemps de l’admirable Dutoit.
Martha Argerich n’a pas « joué » le Concerto de Schumann. Elle donna l’impression de l’improviser, de l’inventer, de le créer sur le champ. C’était « son » œuvre. Il y avait dans son jeu tant de spontanéité et de fraîcheur – avec certains accents, certains ralentis, certains contrechants qui n’appartenaient qu’à elle – qu’on croyait assister à une sorte de création spontanée. Chaque mesure était un éblouissement, qu’elle soit dans la tendresse ou dans l’éclat. Ses doigts avaient la vigueur de ses 20 ans. Oui, inépuisable Martha ! A ses côtés, sous la direction de Charles Dutoit, l’accompagnement du Philharmonique de Monte‑Carlo était plus qu’un accompagnement : c’était une vraie caresse.
Mais, en matière de direction d’orchestre, on n’avait encore rien vu. Le meilleur était à venir avec le Sacre du printemps. Voilà une œuvre d’une étonnante complexité, avec ses constants changements de mesure, ses accents sauvages, ses époustouflantes dissonances, ses tonalités et ses rythmes mélangés. Charles Dutoit la dirigea avec la même sérénité que la Petite musique de nuit. Droit comme un i à son pupitre, il avait l’œil à tout. Rien ne lui échappait des jaillissements sonores émanant de tous les pupitres. L’orchestre explosait en effets dantesques, en sonorités de cataclysme, en crescendos de tsunami. Dans la salle on était bouche bée. Lorsque l’interruption arriva entre les deux parties de l’œuvre (« L’Adoration de la terre » et « Le Sacrifice »), là où d’habitude les gens toussent ou bougent, la salle resta figée. Elle avait été envoûtée par ce qu’elle venait d’entendre : les scansions sauvages des cordes dans les « Augures printaniers », les martellements des cuivres dans les « Rondes printanières », les stridences de la petite clarinette dans le « Jeu du rapt », le tumulte ahurissant du « Jeu des cités rivales », les clameurs des trombones dans le « Cortège du sage », le fracas tellurique des timbales dans la « Danse de la terre ».
Il faudrait citer toutes les interventions solistes tant elles furent brillantes – depuis celle, mystérieuse, au basson, par laquelle s’ouvre l’œuvre, dans laquelle excella Franck Lavogez. Du premier au dernier pupitre, tous les musiciens se jetaient dans l’ouragan sonore avec une précision millimétrée, mis en confiance par leur chef admirable.
Ce Sacre fut celui du printemps, oui. Mais aussi celui de Dutoit !
André Peyrègne