E. Kissin, K. Yamada (© André Peyrègne)
Monaco
Monte-Carlo (Auditorium Rainier III)
15 octobre 2023
Serge Rachmaninov : Concerto pour piano n° 3, opus 30 – Symphonie n° 3, opus 44
Evgeny Kissin (piano)
Orchestre philharmonique de Monte‑Carlo, Kazuki Yamada (direction)
On le vit s’avancer sur le devant de la scène d’un pas impérial, buste droit, front haut, cheveux coiffés en arrière. Le Philharmonique de Monte‑Carlo l’attendait, au grand complet. Aussitôt assis sur son tabouret, Evgeny Kissin attaqua le Troisième Concerto de Rachmaninov. Il fit cela dans un tempo curieusement lent. On interprète d’habitude le premier mouvement de manière plus rapide, à l’instar de Rachmaninov en personne dont on possède de bouleversants enregistrements.
Evgeny Kissin, lui, jouait méticuleusement, soignant chaque note, chaque inflexion, ourlant ses phrases avec amour, les faisant vibrer de manière quasi sensuelle. On se sentait envoûté par son jeu. Soudain, il s’emportait en traits étincelants, en arpèges virtuoses, en fioritures acrobatiques, comme seule la musique de Rachmaninov en recèle. On se sentait alors irrésistiblement emporté par son élan. Galvanisé par la présence de ce soliste et par les exhortations de son chef Kazuki Yamada, le Philharmonique de Monte‑Carlo accompagna le concerto de manière somptueuse.
On pouvait toutefois se poser cette question : a‑t‑ on le droit de jouer les concertos de Rachmaninov différemment de Rachmaninov lui‑même ? Si le compositeur les jouait dans tel ou tel tempo, c’est qu’il voulait qu’on les joue ainsi. Cette question en appelle une autre : à qui appartient l’œuvre une fois qu’elle a été écrite ? A son créateur ou à son interprète ? Quelle que soit la réponse, Evgeny Kissin nous a ébloui. Kissin a du génie : Ev‑génie Kissin !
Il se différencia à nouveau de Rachmaninov au moment des applaudissements – que dis‑je, de l’ovation du public. Il paraît en effet que lorsque le compositeur jouait son Troisième Concerto, il était tellement épuisé à la fin qu’il ne pouvait plus jouer de bis. Kissin, lui, ne se priva pas de revenir interpréter la « Mélodie » puis la « Sérénade » des Morceaux de fantaisie de Rachmaninov.
En seconde partie, Kazuki Yamada réussit à donner à la Troisième Symphonie de Rachmaninov une dimension mahlérienne qu’elle est loin d’avoir à l’origine. L’orchestre sonnait avec splendeur, de manière collective aussi bien qu’individuelle, à tous ses pupitres de solistes. Le public de Monaco, qui n’est pas familier des grands élans d’enthousiasme, se livra ce jour‑là à deux standing ovations : une pour le pianiste après le concerto, une pour le chef après la symphonie. Et les deux pour… Rachmaninov.
André Peyrègne